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Flora Battesti

 

Etudiante à l'IUT de journalisme de Tours

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Quand les agriculteurs se mettent au vert

Difficultés techniques, frais supplémentaires, manque d’accompagnement… La conversion à l’agriculture biologique n’est pas toujours simple. Pourtant, les producteurs n’ont jamais été aussi nombreux à abandonner pesticides et engrais en France, comme c’est le cas en Indre-et-Loire.

 

Deux champs séparés par un chemin. Dans le premier, le blé en herbe est vert vif et aucune pousse n’est plus haute que l’autre. Dans le second, qui appartient à Dominique Gibon, l’avoine se mélange à d’autres céréales dans un dégradé de vert. De sa main noircie par le travail aux champs, il effleure les différentes variétés de plantes. « Cela s’appelle l’agriculture associée, ça permet de préserver les sols », explique le propriétaire de cette parcelle du Louroux, dans le sud de l’Indre-et-Loire. Il y a quelques années, son champ ressemblait à celui de son voisin, traité aux engrais. Mais depuis sa conversion à l’agriculture biologique en 2009, Dominique Gibon a dû chercher des solutions naturelles pour ne pas épuiser ses terres. Ce producteur de lait gère une ferme de 70 hectares et possède une centaine de vaches et de veaux. Toute sa production se fait en circuit fermé : ses propres céréales nourrissent ses bêtes. « Mais le passage au bio a été un long chemin », soupire le quinquagénaire.

L’agriculture biologique, Dominique Gibon y pense dès 1996. A l’époque, le premier scandale de la vache folle fait augmenter la consom- mation de produits bio. « Mais on n’avait pas d’accompagnement et on manquait de regards extérieurs sur ces pratiques », se souvient-il. Il franchit finalement le pas en 2007, par ras-le-bol contre les produits chimiques. Et parce que son père, qui gérait l’exploitation familiale, est atteint de Parkison, une maladie reconnue comme étant liée à sa profession. Sept ans après sa conversion, les recettes de Dominiques Gibon sont identiques à celles qu’il réalisait avec des méthodes conventionnelles. « Je n’ai pas fait ça dans l’espoir de devenir riche », explique l’agriculteur. Sa situation financière est comparable à celle de la plupart des exploitations ayant effectué leur conversion : le bio permet au mieux de maintenir ses revenus, rarement de les augmenter.

                                                    Malgré cela, l’agriculture bio ne cesse de se développer en Centre-Val de Loire. On estimait fin 2015 à 13                                                       500 le nombre hectares agricoles entrés en conversion dans la région, contre seulement 3 000 en 2014,                                                           sachant qu’il faut entre deux et trois ans pour convertir une exploitation. Un succès qui pourrait aujourd’hui                                                       nuire aux agriculteurs bio. « Il y a eu tellement de conversions dans notre région que l’enveloppe des aides                                                     est vide », constate Elsa Defrenet, chargée de mission au Groupement des Agriculteurs Biologiques et                                                             Biodynamiques de Touraine. Les 20 millions d’euros d’aides européennes destinés au soutien de                                                                      l'’agriculture bio, complétés par 5,5 millions d’euros de l’Etat, auraient pourtant dû permettre un soutien                                                            jusqu’en 2020. Une renégociation de l'enveloppe européenne devrait avoir lieu en 2017 et des discussions                                                       sont en cours pour savoir quand les agriculteurs toucheront leurs aides pour les conversions entamées                                                             entre juin 2015 et mai 2016. L’incertitude pourrait décourager les bonnes volontés.

                                                    Si le bio ne représente que 4 % des surfaces cultivées en France, il continue à se développer. Le nombre                                                         d’hectares bio étant passé de 1,1 million fin 2014 à 1,3 million un an plus tard, d’après l’Agence Bio, soit                                                           une augmentation de 17 %. Cette évolution est profitable à l’emploi. Il faut plus de main d’oeuvre pour                                                               pallier l’absence de produits chimiques. Grâce au bio, Dominique Gibon a pu employer des saisonniers au                                                     printemps et engager un apprenti. Installé aux Hermites, dans le nord de l’Indre-et-Loire, François Costenoble est en conversion depuis un an. Il envisage de développer un ou deux emplois sur son exploitation. A ceux qui ne souhaitent pas produire bio en raison du coût, Dominique Gibon rétorque qu’en cette période de chômage : « Le jeu en vaut la chandelle ! »

Se convertir au bio nécessite aussi de « réapprendre entièrement son métier », ajoute-t-il. S’il pense qu’il serait « mort d’ennui » sans ce changement, tous les agriculteurs ne sont pas prêts à se lancer. Le bio demande de la patience : au départ, la productivité baisse. « Les sols se réorganisent pendant quatre ans, puis ça repart », précise l’agriculteur en souriant. En revanche, sa production ne sera jamais aussi abondante qu’en agriculture conventionnelle. Avant, ses vaches produisaient jusqu’à 8 000 litres de lait par an auparavant, contre 6 000 litres aujourd’hui. A la baisse des revenus s’ajoutent des frais supplémentaires. Les agriculteurs doivent en effet payer les organismes indépendants qui leur délivrent leur certification bio, après des contrôles inopinés. Pour ses 70 hectares, Dominique Gibon dépense en moyenne 870 euros chaque année. Ces démarches peuvent être un frein à la conversion. « Nous n’avons pas les moyens de passer au bio, explique Monique Brossillon agricultrice dans le nord de la Touraine. Nous pratiquons l’agriculture paysanne et utilisons très peu d’engrais. Nous nous considérons comme bio, même si nous n’aurons jamais la certification. »

Les agriculteurs bio regrettent aussi le manque d’accompagnement au quotidien. Un jour, lors d’une réunion entre agriculteurs, Dominique Gibon demande à ses confrères un conseil pour se débarasser mauvaise herbe persistante. « On m’a dit “sors le Roundup”, en sachant que je n’utilisais pas ce type de produits. Je passe outre mais cela peut être décourageant. Trouver des solutions à nos problèmes techniques reste compliqué. » Du côté des institutions, le discours est différent. « De l’information, il y en a, affirme Patrice Ménétrier, technicien biologique à la Chambre de l’Agriculture d’Indre-et-Loire. Mais notre métier c’est du savoir-faire, alors je ne peux faire que du cas par cas. » Malgré les difficultés, tous les agriculteurs bio interrogés se montrent enthousiastes. « Je dors mieux quand je pense aux générations futures », se satisfait François Costenoble. A 46 ans, il pense à l’avenir et espère que son fils, qui vient d’obtenir son bac agricole, prenne le relais pour que le bio devienne un héritage durable.

Flora Battesti et Camille Charpentier

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